Une passante

Je l’ai vue avant même que le métro s’arrête, quand la fenêtre contre laquelle elle s’appuyait est passée devant moi. Je suis montée dans le même wagon et je me suis assise pas très loin d’elle. Cheveux courts d’un châtain qui hésite à donner dans le roux ensoleillé, mains longues et sans ornement. Les ongles courts et soignés, aucune bague, aucun bracelet, on dirait que ses doigts sont nus. Elle tient un livre de Kundera sans le lire, le regard ailleurs, perdu par la fenêtre ou qui sait où. Pourtant, on n’y voit rien ; on est dans un tunnel. Elle se tient bien droite, son expression est figée, ses yeux grands, sa bouche ronde, son visage aussi nu que ses mains avec sa peau dorée de rousse n’expriment rien qu’une concentration sur ses pensées. Qu’à-t-elle pu lire dans son bouquin, pour s’immobiliser ainsi, concentrant toute sa vie vers l’intérieur ?

On nous annonce l’arrivée à Saint-Lazare. Sans tressaillir, elle referme son livre et se lève. Sa robe en couleurs chaudes et vives se moule sur sa poitrine et sa taille, puis s’élargit en une vague fluide jusqu’aux mollets. Elle semble grande, allongée, élancée, vêtue de chaleur d’été. Elle attend, immobile, s’appuyant sur la barre, et seul le mouvement du train la fait balancer doucement ; sa robe glisse de droite à gauche comme sous le souffle du vent.

Je lève les yeux : il y a une lune entre ses omoplates. Les bretelles croisées de sa robe et la mince bandoulière de son sac me le cachent en partie. Il y a quelque chose de celtique dans son tatouage, il est tressé de bandeaux entrelacés. Quelque créature est assise sur le croissant ; mais je ne puis la voir. Mon regard reste fixé sur son dos, je cherche en vain à apercevoir ce qui m’est caché.

Les portes s’ouvrent, elle sort et repasse devant moi. Son regard est resté le même, droit et fixe, son visage est toujours fermé. Elle s’éloigne, droite aussi, son livre à la main, sa lune ondulant dans son dos.

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